Le 10 octobre 2020 dans Rencontres

L’interview de Joann Sfar

Lorsque Georges a su que la BD Petit Vampire de Joann Sfar Ă©tait adaptĂ©e au cinĂ©ma, il s’est dit qu’il fallait absolument en parler dans le N° Squelette ! Joann Sfar a eu la gentillesse de rĂ©pondre Ă  toutes nos questions sur l’école, la famille, la rĂ©alisation d’un dessin animĂ©, les cascadeurs, la voix des personnages, les trucages
 

Petit Vampire s’ennuie tellement qu’il veut absolument aller Ă  l’école ! Tu Ă©tais comme lui, ou plutĂŽt comme son copain Michel ?

Michel et Petit Vampire ont en commun d’avoir des familles bizarres. Pour l’un ses parents sont morts, et pour l’autre, ses parents sont morts-vivants. Les monstres, c’est pareil ils sont tous un peu Ă©tranges ! Dans Petit Vampire, je souhaite montrer des familles un peu cabossĂ©es mais expliquer que tout le monde est normal, mĂȘme lorsque l’on semble Ă©trange. L’école sert aussi un peu Ă  ça, c’est un endroit oĂč l’on va avec beaucoup d’apprĂ©hensions, parce qu’on se dit qu’on est diffĂ©rent et on en sort en se disant que personne n’est comme les autres, alors tout va bien.

Ton mĂ©tier, c’est dessinateur de bande dessinĂ©e. Pourquoi as-tu dĂ©cidĂ© de faire un film ?

Parce que c’était possible et parce que j’adore le cinĂ©ma et les dessins animĂ©s ! J’avais envie de faire une histoire spĂ©cifiquement pour les enfants. Le cinĂ©ma permet  beaucoup plus de spectacle qu’une sĂ©rie TV* ou qu’une BD : on a pu vraiment faire voler les vaisseaux, montrer des crĂ©atures pas possibles, faire vivre les personnages autrement.

Est-ce que tu dessines de la mĂȘme façon pour un film et pour un album ? 

Pour Petit Vampire, on a fait exprĂšs de transformer les personnages pour qu’ils bougent mieux parce que moi, dans mes BD, je dessine Ă  la plume, avec un trait extrĂȘmement fin et qui tremble, et ça, c’est trĂšs vivant sur le papier mais dĂšs que les dessins sont animĂ©s, qu’ils bougent, on ne voit plus rien. Donc, on a dĂ» les rĂ©inventer pour qu’ils fonctionnent mieux en animation. Le dessin de dessin animĂ© n’est pas le mĂȘme dessin que le dessin de bande dessinĂ©e. Par exemple on dessine plus gros en dessin animĂ©, on ferme un peu plus son trait… il y a des choses comme ça qu’il faut apprendre.

Dans le gĂ©nĂ©rique, il y a des noms d’acteurs et de cascadeurs, mais pourquoi puisque c’est dessinĂ© ?

Aahh, ça c’est un truc que faisait dĂ©jĂ  Walt Disney dans ses dessins animĂ©s comme Blanche Neige ou Alice au pays des merveilles : il prenait des vrais comĂ©diens costumĂ©s qui jouaient les rĂŽles des personnages. Nous, on l’a fait avec SĂ©bastien qui a travaillĂ© sur Star Wars : il a fait toutes les bagarres de sabre, les trucs quand les personnages sautent, volent
 Cela permet que les mouvements soient le plus sensibles et Ă©mouvants possibles et que les personnages soient plus vrais.

Finalement, le jeu d’acteur des personnages c’est Ă  la fois ce qu’ont proposĂ© les comĂ©diens et ce qu’ont retenu ensuite les animateurs parce que les dessins ne sont pas faits par une machine. C’est d’abord des comĂ©diens qui font leur prestation  presque comme sur la scĂšne d’un théùtre et ensuite les animateurs interprĂštent Ă  leur tour cette prestation, et moi, comme rĂ©alisateur, je suis un peu le metteur en scĂšne de théùtre : j’essaie d’ĂȘtre le plus proche des personnages.

Est-ce que c’est pareil pour les paysages comme la mer ?

Oui. Je m’inspire beaucoup du rĂ©alisateur de dessin animĂ© japonais Hayao Miyazaki. Il se dĂ©plaçait sur les lieux oĂč il prenait des tas de photos et faisait des dizaines de dessins. Nous avons fait la mĂȘme chose avec la ville de mon enfance (le Cap d’Antibes). Je suis allĂ© photographier l’ancienne maison de mes grands-parents qui est la maison de Michel dans le dessin animĂ©, mais aussi les rues, les jardins, les bateaux
 Tous les dĂ©cors que l’on voit dans le film sont des vrais dĂ©cors. Le seul lieu qui n’existe pas trop, en tout cas, s’il existe je ne vais pas dire oĂč il est  parce que c’est secret, c’est la maison de Petit Vampire ! On se documente sur tout, pour que tout le monde puisse y croire.

Georges sait que pour faire 1 seconde de dessin animé, il faut 24 dessins. Comment as-tu fait pour tout dessiner ?

C’est 24 en thĂ©orie et en rĂ©alitĂ© il en faut plus parce que 24 dessins par seconde c’est pour donner du mouvement Ă  un personnage mais avant ça, il faut crĂ©er les personnages, les dĂ©velopper, inventer l’histoire, ce qui s’appelle un story-board, il faut aller rechercher les dĂ©cors dont on parlait c’est Ă  dire les dessiner, il faut faire plein de design sur chaque personnage
 c’est fou en fait ! En tout, le film Petit Vampire, c’est 6 ans de travail pour 100 personnes.

C’est un travail artistique et il faut qu’on ait tous la mĂȘme partition comme dans un orchestre, il faut que l’on joue tous ensemble et c’est vraiment assez miraculeux
 jusqu’au dernier moment on se demande toujours si ça va marcher ! Je peux aussi comparer avec les cuisines d’un grand restaurant, on se dit « j’espĂšre que je ne vais pas louper mon plat Â». C’est trĂšs dĂ©licat. Il y a un cĂŽtĂ© trĂšs artistique et un cĂŽtĂ© trĂšs collectif.

Quand on lit un livre ou une BD, on imagine les voix. Comment as-tu fait pour trouver la bonne voix des personnages que tu as inventés ?

C’est trĂšs compliquĂ© ! Je l’avais dĂ©jĂ  fait pour la sĂ©rie TV* il y a 15 ans mais j’ai dĂ» tout refaire car les comĂ©diens n’étaient plus forcĂ©ment disponibles. D’abord, j’enregistre moi-mĂȘme tous les dialogues sur un magnĂ©tophone et je fais toutes les imitations. Ensuite, je fais venir des comĂ©diens et lĂ , on travaille comme au théùtre, sur la relation des voix les unes avec les autres. C’est comme quand on crĂ©e un chƓur en chanson, on chante juste quand on chante avec les autres. En plus, Petit Vampire est une comĂ©die, alors c’est trĂšs important d’écouter comment les voix se rĂ©pondent.

Ton métier est trÚs varié : dessiner, repérer des lieux, diriger une équipe, enregistrer


J’aime ça parce que je suis toujours en train d’apprendre et en mĂȘme temps, j’ai l’impression de faire tout le temps le mĂȘme mĂ©tier, avec des crayons ou un film, c’est Ă  dire : raconter des histoires !

Propos recueillis par Anne Bensoussan pour Georges N° Squelette

  • Joann a dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ© le dessin animĂ© Petit Vampire pour la TV et le film d’animation Le Chat du rabbin pour le cinĂ©ma.

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