Le 31 mai 2022 dans Rencontres

L’interview de Gaëlle Alméras

Gaëlle Alméras est une dessinatrice de BD très curieuse, tout l’intéresse et elle adore partager ses connaissances. Après sa première BD sur l’espace, voici la suite sur l’océan ! Elle nous explique comment elle crée une bande dessinée scientifique : il faut apprendre, expliquer et dessiner le tout !

Comment vous est venue l’idée de ce nouveau Super Week-end ?
Quand nous sommes sorties de l’imprimerie pour Le Super Week-end de l’espace, nous avons abordé la suite avec les éditrices de Maison Georges. J’avais envie de continuer avec les personnages mais j’étais un peu lassée de tout ce noir de l’espace. Elles m’ont alors proposé de partir sur un autre sujet. Je leur ai dit : « en ce moment, je fais des dessins de fonds marins. » Il s’agissait d’une démarche vraiment personnelle pour me libérer de ma phobie des poissons. Elles m’ont dit que c’était un très beau projet et qu’elles étaient prêtes à me suivre sur l’océan. Je suis partie en vacances en Bretagne et au retour, j’avais un scénario en tête.


Comment avez-vous effectué vos recherches autour de l’océan ?
J’ai regardé une multitude de documentaires, j’ai lu beaucoup de livres sur le sujet. C’est vraiment comme cela que je commence à me passionner sur un sujet. Quand je suis dedans, j’y vais à fond, dans tous les sens.
Ensuite, je sollicite des spécialistes, des scientifiques, des commissaires d’exposition… J’ai ainsi pu rencontrer Claude Doumet-Pincet, de la Cité des sciences, Gérald Andres, spécialiste en illustration aux Archives de Lyon, Jérôme Mourin à l’Aquarium de Lyon et encore Cédric Audibert du musée des Confluences. Je ne peux pas tous et toutes les citer.

Comment s’est passé le travail avec Marjolaine Matabos, votre caution scientifique de l’Ifremer ? 
Marjolaine Matabos a été tout de suite emballée, elle a suivi le projet, elle l’a transmis à des chercheurs et chercheuses du CNRS et à ses collègues de l’Ifremer. Pour ce qui est de la collaboration, je préfère me lancer toute seule, quitte à me tromper et qu’on m’explique ensuite où je me suis trompée. C’est comme cela que j’apprends. À chaque étape, il y a une validation afin que Marjolaine me dise si ce que j’ai fait est pertinent, si je n’ai pas oublié quelque chose d’essentiel. Est-ce qu’il faut rajouter des pages pour expliquer plus en profondeur ? Est-ce que j’ai bien compris ? Je fais et on me corrige…

Pourquoi cet attachement à la transmission, à la vulgarisation ?
Lorsqu’un sujet me plaît, j’en parle sans arrêt. Je suis tellement contente d’avoir compris quelque chose que je veux l’expliquer à tout le monde. Et puis, j’aime en parler à ma façon, aborder la science avec des histoires, d’une façon plus émotionnelle et qui peut accrocher tous les lecteurs et lectrices. Partager la science autrement que par le côté purement scientifique, qui peut être difficile à avaler. Les histoires qui parlent de science, c’est ce que je préfère, donc c’est ce que je fais !

Contrairement à d’autres documentaires jeunesse, la BD joue vraiment son rôle…
C’est mon travail ! J’ai envie de faire de la vulgarisation scientifique mais je suis auteure de BD avant tout. Ce qui m’amuse, c’est l’équation entre l’histoire à raconter, les caractères des personnages et les choses à apprendre. Il faut faire en sorte que tout cela soit le plus fluide possible.
Effectivement, les personnages sont centraux dans le livre, comme dans le précédent d’ailleurs…
Ils viennent en premier, c’est comme cela que je commence l’histoire. Puis, on vit ensemble, ils sont tout le temps dans ma tête. Tout ce que je fais dans la vie peut servir d’histoire ou de gag. Au tout début, j’ai dessiné le petit rat, le castor et l’ornithorynque et je me suis dit : « Qu’est-ce que je fais avec eux ? »

L’émerveillement semble être une notion importante dans votre travail. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Pour m’intéresser à une chose, il faut que je la trouve belle. L’espace, je m’y suis intéressée parce que je trouve cela joli, parce que les images du télescope Hubble sont magnifiques. C’est ce que je dis tout le temps aux enfants : « j’ai trouvé ça beau et je me suis demandé comment ça fonctionnait. » Je suis plus artiste que scientifique. J’ai donc cette envie de transmettre ce côté « émerveillée » que j’ai au quotidien et d’essayer de le retranscrire en dessin. Quand j’ai un dessin dans la tête, je n’ai pas une esthétique, j’ai une émotion. Et quand je revois mon dessin, il faut que j’aie cette même émotion. C’est la raison pour laquelle mes dessins sont très minutieux, parce que j’y passe des semaines.

Comment avez-vous construit votre livre graphiquement ? Entre le noir et blanc, la couleur, les dessins ludiques et ceux plus réalistes ?
Le noir et blanc est vraiment là pour faire le lien avec le premier livre et mettre en avant ce dont je parle. Et en même temps, j’avais cette envie de couleurs après mes quatre ans dans le noir de l’espace. Il fallait trouver le moyen de lier les deux.
Tout ce qui est sur terre et qui vient de la terre est en noir et blanc et tout ce qui vient de l’océan est en couleur. Il y a vraiment ce passage d’un univers à un autre avec la surface de l’océan comme frontière. Tout ce qui est sous l’eau, je l’ai travaillé à l’aquarelle parce que cela me semblait logique.

Vous avez une manière bien à vous de faire passer le message écologique : subtile et positive…
Au fil de mes recherches, je me suis aperçue que tous les livres que je lisais, tous les documentaires que je voyais, tous les gens que je rencontrais me disaient : « C’est la catastrophe. » Je suis peu réceptive aux injonctions, par contre, si on m’explique pourquoi, j’ai plus envie de m’impliquer. Je me suis dit que d’autres personnes devaient réagir de la même façon. Le livre me ressemble en cela, parce que je m’adresse à un public qui n’est pas forcément très engagé. Donc j’essaie de passer par l’explication. C’est ma manière de fonctionner.

Pour finir, question rituelle : où allez-vous piocher vos inspirations ?
Je lis énormément de BD documentaires, scientifiques ou biographiques. J’adore apprendre en BD, récemment j’ai adoré Les Culottées [de Pénélope Bagieu], Radium Girls [de Cy] et Mister Cerveau [de Jean-Yves Duhoo]. De manière globale, ce n’est jamais le graphisme qui m’appelle. C’est le fond, plus que la forme, qui m’intéresse. Il y a aussi l’illustration scientifique en général, les planches botaniques, anatomiques, comme les méduses de Ernst Haeckel, par exemple. Je suis fascinée par leur rôle dans l’histoire des sciences, et de la précision dont les illustrateurs devaient faire preuve.
Sinon d’un point de vue graphique, je parle souvent de La Jeunesse de Picsou de Don Rosa. J’aime le niveau de détail et de précision dans ses dessins et le fait qu’il y cache des choses pour les lecteurs consciencieux. J’ai aussi souvent en tête les dessins de Shigeru Mizuki, avec un personnage très simple qui évolue dans des décors très réalistes, dans Kitaro notamment.

Propos recueillis par Maxime Gueugneau.

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