Le 26 juin 2020 dans Rencontres

L’interview de Violaine Leroy

Après avoir lu Uani, nous avions beaucoup de questions sur les Inuits, le voyage, les couleurs… Nous les avons posées à Violaine Leroy, son auteure et illustratrice.

Comment t’es venue l’idée de cette histoire ? As-tu voyagé au Groenland ou dans le nord du Canada, chez les Inuits ?

Je n’ai jamais voyagé aussi au Nord, mais c’est bizarrement un univers qui m’est familier : depuis toute petite je suis une grande lectrice de contes du monde entier et particulièrement ceux du pôle Nord. Après j’ai continué avec les livres de Jørn Riel et beaucoup de récits d’anthropologues et ethnologues du Grand Nord, mais aussi d’autres peuples dans le monde. Ce qui relie ces humains entre eux c’est qu’ils ont un univers imaginaire très riche, un rapport aux esprits, à ce qui les entoure, un lien aux autres et à la nature qui m’accompagne depuis longtemps, qui me permet de me dire que le monde dans lequel je vis ne va pas forcément de soi. Il faut croire que dans une autre vie j’ai dû être Inuit ou Nenet ou… renne.

J’ai promis à ma petite fille de 3 ans et demi que nous essaierons d’y aller dès que ses petites jambes seraient assez grandes pour la porter un peu plus loin. Et si c’est trop compliqué, que les frontières sont bloquées, que nous n’avons pas assez d’argent ; nous continuerons à lire des contes et à traverser les forêts ou les trottoirs en sautant comme des rennes et en construisant des igloos de bois.

Le début et la fin de l’histoire commencent par des images dans des cercles, comme si on regardait par une longue vue, c’est ce que tu voulais faire ? Nous faire regarder au loin ?

Oui, c’est une manière de montrer qu’au fur et à mesure le paysage grandit, que nous ne sommes plus le point central, mais un tout petit point dans la nature. 

Ton héroïne est très courageuse et curieuse, ce sont des qualités qu’il faut pour voyager d’après toi ?

Ce qu’il faut surtout, il me semble, c’est de la curiosité et de la persévérance. Ne pas s’arrêter à la première montagne, à la première fatigue. Ne pas désirer absolument le but, mais que l’expérience soit le voyage plutôt que l’arrivée (mais il faut une vie pour l’apprendre, j’en sais quelque chose !). Et puis surtout, prêter attention aux autres. L’avantage du silence ou la barrière de la langue, c’est que nous sommes des observateurs et que les autres nous observent. Je suis tout à la fois très bavarde (un bon moyen de cacher mes peurs) et plutôt peureuse dans la vie, mais le fait de rencontrer les autres et la nature me donnent toujours du courage. 

Les couleurs sont très présentes dans Uani : du vert, du bleu, du jaune alors que l’on pourrait s’attendre à ne voir que du blanc. Tu as beaucoup cherché comment peindre la glace, les reflets ?

C’était bizarrement une évidence de « colorer » la neige. J’aime montrer que la nature est mouvante, jamais figée. Là où l’on ne voit que du blanc, si on prend son temps, on voit des reflets gris et bleus ; les transparences de la glace, de l’herbe jaune ou du lichen qui passe à travers.

Il suffit d’observer un simple carré d’herbe, c’est un jeu rigolo : de quel couleur est-il ? Vert ? Non, il y a le brun de la terre, le blanc d’une pâquerette, une herbe jaune fanée, une brindille rouge, on peut y passer un bon petit moment ! Si on revient après la pluie, on verra que tout a changé, l’herbe s’est couchée, des feuilles sont tombées dessus, des fourmis passent et le vert n’est plus tout à fait le même.

On devine des coups de pinceaux mais aussi de la peinture projetée, du pochoir, comment as-tu dessiné ? Quels outils utilises-tu ?

Pour ce livre, j’ai utilisé des encres et des crayons de couleur. Beaucoup de coups de pinceaux et des petits pochoirs pour « ne pas dépasser » ! 

Tu dois avoir un grand atelier de peinture ? Où travailles-tu ?

J’adorerais avoir un grand atelier ! Je travaille dans un espace collectif où nous sommes plusieurs (graphistes, réalisateur, photographe, créateur de site internet…) et j’ai un bureau avec une étagère où tout est plus ou moins rangé…

Combien de temps as-tu travaillé pour Uani ?

Entre l’écriture du texte, les premières esquisses et la réalisation de l’album, il m’a fallu 2 ans. J’ai réalisé d’autres petits projets en même temps, mais la technique utilisée est longue.

J’ai lu que tu dessinais aussi pour des journaux, de la bande dessinée, pour les adultes… as-tu une préférence ?

Non, toutes ces différentes activités sont une manière de découvrir de nouvelles choses et surtout de raconter des histoires différentes !

J’ai découvert que Uani, en inuit, veut dire « là-bas », « ici » et « être soi-même »… cela résume bien ton histoire… 

Oui, tout à fait ! D’ailleurs les sens multiples d’un seul mot révèlent bien que l’on ne peut pas tout nommer, que parfois le silence raconte aussi des choses. On a l’impression en ce moment que les enfants devraient tout nous dire, tout partager, leurs émotions, leurs journées, commenter tous leurs dessins et que les parents devraient être des puits de sagesse et de parole. Mais parfois, zut à la fin, on a juste besoin de ne rien dire et de passer un bon moment ensemble sans un mot.

Propos recueillis par Anne Bensoussan pour Georges N° Kenya

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